La pêche à la ligne, vieille tradition parisienne, est aussi parfois un moment de répit pour les poissons et l’occasion pour les pêcheurs de disserter sur le temps, le niveau du fleuve, la pureté de ses eaux et toute autre sujet qu’il est si agréable d’aborder avec de vieux amis. Et tant pis si on ne se préoccupe plus guère de la ligne, jetée d’un côté, tandis qu’on regarde rêveusement de l’autre…
Quand j’étais gamin, en sortant de l’école, avant le rituel baby-foot, j’allais parfois traîner vers la rue de Lappe pour apercevoir les dames qui arpentaient le trottoir de la rue de la Roquette. Il y avait là , tout près de la place de la Bastille, un petit bar incroyable, minuscule, avec un comptoir en forme de fer à cheval. Je n’en avais jamais vu de semblable.
Ce bar a aujourd’hui disparu, les dames de la Bastille aussi, mais jugez de mon plaisir quand rue Vieille du Temple je suis tombé sur le Bar du Petit Fer à Cheval et son comptoir, en tout point semblable à celui de mon souvenir. Je suis entré bien entendu et je n’avais rien à envier à Proust et sa madeleine. J’adore ces comptoirs là . Au plaisir de la consommation cette disposition ajoute celui de la conversation, une sorte d’intimité qui fait chaud au coeur. C’est au 32 rue Veille du Temple.
Comme souvent, mes pas m’avaient conduit rue Saint Martin, au coin de la rue Pernelle. C’est là que celui qu’on nommait affectueusement Gérard de Saint Martin habitait, dans une petite boite en bois accrochée aux grilles d’un parking . Je lui apportais du tabac gris, d’autres fois des madeleines qu’il émiettait pour les oiseaux qui avaient pris l’habitude de venir nombreux devant son petit logis de fortune. Il est mort début 2008. La boite a disparu et ce furent les motos qui prirent sans vergogne sa place laissée vacante. Depuis et cela lui aurait fait plaisir, l’endroit est occupé par un container de récupération de vêtements usagés. Sois heureux où que tu sois, Gérard, toi qui craignais tant les extra-terrestres, tout le monde t’aimait, tout le monde aimait ton sourire et ta gentillesse. Ce soir là je n’étais pas le seul à être triste.
Il en va des stations du métro comme des hommes, il y en a des grosses et des minces, des hautes et des basses. La station Cité, noblesse oblige, fait partie des stations dont l’arc s’élève plus haut que la moyenne, un peu comme Saint Lazare, et son éclairage particulier, très élégant avec ses lustres à trois globes, tend encore à la distinguer davantage. Dernière particularité, elle ne comporte plus qu’une issue, place Lépine, à l’extrémité du marché aux fleurs et aux oiseaux. Les deux autres sorties, l’une dans la Préfecture de Police et l’autre dans le Palais de Justice, bien qu’innocentes (¡), ont été condamnées pour des raisons de sécurité depuis plus de trente ans.
Elles vont par deux, ces petites touristes, leur guide ou leur smartphone à la main, et arpentent les rues de Paris. Le plus souvent japonaises ou coréennes, elles n’hésitent pas à se perdre dans les petites rues du Marais , de Montmartre ou de Belleville. Perdues parfois? Peut-être, mais pour leur plaisir certainement. Quant aux hommes ils préfèrent visiblement les voyages organisés aux déambulations solitaires. Les aventurières ce sont elles.
J’avoue que j’aime beaucoup les cours pavées du village Saint-Paul, ce quartier du Marais entre la Seine, la rue Saint Antoine et la rue de Rivoli, rénové à la fin des années 70. Rien de tel pour musarder tranquille en regrettant parfois que promeneurs et touristes n’en découvrent pas davantage les charmes cachés.
Le quai de Corse est très à pic et on ne se promène pas au bord de l’eau sur cette rive nord de l’île de la Cité qui se dresse, un peu comme un rempart, pour protéger ce qui fut longtemps le coeur du royaume de France. Cette hostilité revêche s’apaise le soir, quand le Pont Notre Dame illumine ses jupes de métal et allume ses réverbères. Alors le ciel vire lentement du bleu sombre au noir et les ponts alignent leurs arches pour un court instant de recueillement.